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En rouge et blanc / Sylvie Marchand

Ma petite sœur me serrait très fort la main. J'avais 5 ans, un manteau rouge à martingale, un bonnet assorti et serrais très fort la sienne en retour.



Depuis plusieurs jours, l'excitation était à son comble. Il était de toutes nos conversations et nous nous préparions à voir au loin sa longue barbe blanche tant attendue. La nuit était tombée et le fond de l'air était frais. Nous avions traversé une forêt de jambes, de manteaux pour arriver à notre place. Ma sœur avait 3 ans et était collée tout contre moi. Plantées au bord du trottoir, tout près de nos parents, nous l'attendions avec impatience.


La veille au soir, aidée de mon père, j'avais déposé devant la porte de l'appartement un verre de lait, une assiette de gâteaux et une belle grosse carotte, non sans une pointe d'inquiétude. Saint Nicolas et son âne allaient-ils réussir à parvenir jusqu'à nous ? Nous qui habitions au 8e étage d'un immeuble situé à la Cure d'air, un ensemble résidentiel nancéien. Heureusement, mon père avait balayé mon inquiétude en affirmant que saint Nicolas trouverait sans peine notre appartement et que ça n'était pas un ensemble d'immeubles qui allait l'arrêter, qu'il trouvait toujours son chemin jusqu'aux enfants sages. À mon réveil, je fus tout de suite rassurée : lait, gâteaux et carotte avaient disparu.


En ce temps-là, saint Nicolas était tout au moins aussi important que le Père Noël pour une petite nancéienne de 5 ans. Le défilé, suivi du feu d'artifice, était un moment incontournable de la venue de saint Nicolas. Bien sûr il viendrait nous rendre une bien courte visite à l'école, accompagné du Père Fouettard, son terrible acolyte punissant les enfants désobéissants. Bien sûr, nous le verrions à la fête organisée par le travail de notre maman. Mais le défilé était, sans nul doute, le moment le plus festif où saint Nicolas apparaîtrait tout auréolé de lumière et de musique.


L'attente était longue, le froid de plus en plus vif. De nos bouches s'échappaient des bouffées de vapeur. Nous piétinions pour réchauffer nos pieds. Les premiers chars s'approchaient chargés d'enfants que nous enviions. Que n'aurais-je donné pour être installée parmi eux ! Des compagnies musicales nous faisaient danser. Tambours, trompettes, cymbales... Le temps passait, les chars se succédaient. Nous piétinions. Nous trépignions d'impatience.


L'apparition des chars faisait monter notre excitation, les uns portant leur cohorte d'enfants lançant des bonbons, les autres décorés d'animaux fantastiques, de cabanes multicolores. Puis vint le moment où le Père Fouettard fit son apparition, dans sa robe de bure, le visage noirci. Moment délicieux où la certitude d'avoir été sage pendant l'année permet de vaincre sa peur. Mais avais-je vraiment été assez sage ? La nuit était maintenant complètement tombée, il ne restait plus que quelques chars avant que n'apparaisse celui tant attendu. Ensuite, viendrait le temps de la remise officielle des clefs de la ville par le maire suivi par le feu d'artifice où chaque nouvelle fusée crée une petite secousse au ventre en explosant.


Et soudain, précédé de cris, il apparut. Nos mains se serrèrent plus forts, nous reculâmes pour nous dissimuler derrière les jambes de nos parents. Nos bouches s'ouvrirent sans émettre le moindre son. Il était là. Immense. Énorme. Imposant. En rouge et blanc. Des larmes perlèrent à nos yeux. Nous étions terrorisées, tétanisées. Les larmes ruisselaient maintenant sur nos visages, nous nous cachions tant bien que mal derrière nos parents. Nous n'avions plus qu'une seule envie fuir le plus loin possible. Il était là sur le char, courant, gesticulant, vociférant. Un couteau couvert de sang à la main, le tablier maculé du sang des pauvres enfants disparus dans le saloir, comme dans la légende que nous racontait notre maman. Le boucher avait fait son apparition.


Nous ne vîmes ni saint Nicolas ni feu d'artifice. Devant notre terreur et nos pleurs, nos parents nous avaient prises dans leurs bras et ramenées vite fait à la maison.

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