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Jusqu'à la vengeance

Découvrez la nouvelle "polar" écrite par Laurence jACOB


"...quand je décrochais, souvent, je n’entendais qu’un souffle dans le combiné… Je commence à avoir des angoisses. Je dors mal..."

JUSQU'À LA VENGEANCE par Laurence Jacob


3 janvier

Ma première journée dans le service du Professeur Durand. Je suis accueillie par l’équipe autour d’un petit déjeuner. Puis Mme Durand me fait visiter le service. Différents bureaux de consultation se situent dans la première partie du bâtiment puis, après une porte coupe-feu, fermée en permanence à clé, les chambres des patients. Mon bureau, occupé également par une collègue, est ouvert sur le parc du Centre Hospitalier. De nombreux arbres centenaires y sont disséminés et des parterres de fleurs agrémentent les pelouses. Ce cadre de travail me ravit.


1er février

Déjà un mois que je suis en poste. Je découvre que la charge de travail est importante. Le téléphone ne cesse de sonner et les patients se présentent tout au long de la journée. Dès mon arrivée, Mme Durand m’a confié une pile de dossiers de consultation, des mails à traiter, et me donne quelques directives complémentaires : déplacer ses rendez-vous à la semaine suivante à cause d’une réunion, bosser sur le fichier pour l’inscription des enseignements universitaires et réserver une table de six personnes à l’Auberge du Parc pour un déjeuner le 23 - des médecins parisiens viennent pour le colloque sur la bienveillance.

J’ai de quoi m’occuper. L’ambiance est au beau fixe.


3 mars

Mme Durand nous présente son nouvel assistant : Paul Severin. Vêtu d’un costume noir, il est grand, élancé. Ses yeux bleus me transpercent lorsqu’il se tourne vers moi. Il me laisse une bonne impression, je pense que l’on va bien s’entendre. Mme Durand l'entraîne rapidement vers la porte coupe-feu pour la visite du service. Je constate que tous les regards se tournent vers lui.


1er avril

J’ai plaisir à travailler avec Paul. Il apporte une certaine fraîcheur dans le service. Ses capacités relationnelles lui permettent de communiquer aisément avec l’ensemble de l’équipe et les patients le réclament quotidiennement. Il a une grande force de travail et c’est cette qualité qui a sans doute plu à Mme Durand. A différentes occasions, l’équipe se retrouve autour de déjeuners professionnels voire même au restaurant comme jeudi dernier. Il nous a présenté sa petite amie, Candice, une jolie brune un peu réservée qu’il a rencontrée dans le cadre de ses études. Ils forment un beau couple et ils irradient de bonheur.


2 mai

Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Paul est plus directif depuis quelques jours, plus familier aussi. Il m’interpelle depuis le couloir en criant « Chloé ! Dépêche-toi de sortir les dossiers ! », ou bien « Rappelle Mr Martin et passe le moi immédiatement ! » ou bien encore « Chloé, on va faire un petit courrier ! ». Hier, il a tiré une chaise qu’il a collée contre la mienne et m’a dicté ses observations. Puis, il a posé sa main sur ma cuisse en susurrant « Je te remercie d’avoir fait si vite, Chloé ». Ayant quelques années d’écart en âge, nous avions utilisé le tutoiement quelques jours après son arrivée. Cela se passe couramment dans les services hospitaliers, comme si la hiérarchie n’existait plus. Je m’interroge à présent sur cette relation un peu trop familière que Paul instaure entre nous.


5 mai

Paul vient de dire devant l’équipe que « j’ai un gros cul ». Ai-je bien entendu ? Je regarde mes collègues qui baissent les yeux. Personne ne prend ma défense. Je suis tellement surprise que je ne réponds pas, abasourdie, interloquée. Je me sens humiliée. Je rumine le restant de la journée, puis prend la décision d’aller en référer à Mme Durand.


6 mai

Mme Durand nous reçoit dans son bureau. Paul est surpris par cet entretien inopiné. Je prends la parole pour faire part des propos et des attitudes inadaptées de Paul vis-à-vis de moi. Il répond qu’il a l’habitude de raconter des histoires salaces mais qu’elles s’adressent à n’importe qui, il ne faut pas que je les prenne pour moi. Je réplique qu’à mon sens ce n’est pas toujours le cas puisque la veille, il m’a humiliée une fois de plus devant mes collègues en disant « que j’avais un gros cul ». Mme Durand nous écoute attentivement, à tour de rôle. Puis, à ma grande surprise, conclut en disant qu’elle ne prendra parti ni pour sa secrétaire ni pour son assistant et qu’elle souhaite que ce différend n’interfère pas dans nos relations professionnelles. Abasourdie, je quitte son bureau et réalise que je n’obtiendrai aucune aide de la part de ma supérieure hiérarchique. Je suis anéantie.


7 mai

Paul ne m’adresse plus la parole, par contre, il plaisante avec mes collègues et se comporte comme si de rien n’était. Il me donne ses directives uniquement par mail et ce plusieurs fois dans la journée. Le climat change du tout au tout dans le bureau, seule Mme Durand m’adresse la parole. Je me sens très seule, et de plus en plus mal à l’aise.


8 mai

Quand je suis arrivée, Paul m’attendait au secrétariat. Il m’a regardée froidement sans rien dire puis il m’a tourné le dos et s’est installé près de la fenêtre, faisant mine de travailler sur ses dossiers. Cette situation inhabituelle m’a totalement déstabilisée. Une fois parti, mon poste téléphonique n’arrêtait pas de sonner. Mais quand je décrochais, souvent, je n’entendais qu’un souffle dans le combiné…

Je commence à avoir des angoisses. Je dors mal.


9 mai

J’arrive fatiguée au travail. Je me suis réveillée plusieurs fois cette nuit, envahie par une sorte de panique. Je n’arrive plus à me concentrer. Je ne supporte plus d’entendre le téléphone qui sonne. A midi, Paul propose à mes collègues d’aller déjeuner à l’extérieur. Tous me lâchent. Je reste seule. Je rumine tout l’après-midi.


12 mai

J’ai la boule au ventre rien qu’à l’idée de me rendre au bureau. Je suis constamment sur le qui-vive. J’observe mes collègues : elles fuient mon regard, sont mal à l’aise quand je leur parle, baissent la tête quand je les croise dans le couloir. Paul a réussi à m’isoler totalement du reste de l’équipe. C’est lui le chef et il a décidé de me faire dégager. En gros, il veut ma peau.


Mercredi 13 mai

Je craque. J’ai de telles angoisses le matin que je suis incapable d’aller travailler. J’ai des idées noires et j’ai peur de me faire du mal. Je ne reconnais plus en moi la battante que j’ai toujours été. Sur les conseils de mon médecin généraliste, je me suis décidée à me rendre aux urgences psy.


5 mai

Le psychiatre de garde, Steven Braun, m’a reçue dans son bureau. À sa demande, j’ai évoqué longuement mon mal être suite au harcèlement professionnel. J’ai décrit le climat de tensions qui règne dans le service hospitalier, ayant entraîné une perte de confiance, un sentiment de culpabilité insoutenable. Le psychiatre m’a écoutée puis, lorsqu’enfin il a ouvert la bouche, à ma grande surprise, il a décidé de m’hospitaliser, posant le diagnostic d’un « contexte de risque d’auto-agressivité et de troubles du cours de la pensée ». Je lui ai dit que je n’étais pas d’accord, lui précisant que j’avais besoin d’aide et d’écoute, de soutien psychologique, mais pas d’une hospitalisation et d’une médicalisation. Mais il ne voulait pas me laisser partir compte-tenu de mon état « préoccupant ». J’avais commis l’erreur de lui faire part d’idées suicidaires, et ce con estimait que j’avais besoin d’être protégée de moi-même ! « Je suis désolé, Madame Dumont, mais je vais être contraint de vous hospitaliser sans votre consentement, c’est pour votre bien. » Face à mon refus, il a fait établir un certificat médical extérieur, joint au sien, pour une hospitalisation en soins psychiatriques sans consentement et on m’a aussitôt conduite dans cette chambre fermée du Pavillon Arc en Ciel. J’ai crié, frappé contre la porte, hurlé qu’on me fasse sortir. La réponse est venue très vite : la camisole chimique. « C’est pour votre bien, Madame Dumont. » J’ai aussitôt plongé dans un trou noir.


6 juin

La clé tourne dans la serrure, je me réveille. Je suis allongée sur un lit dont les montants sont vissés aux murs blancs. Une table carrée et une chaise complètent le mobilier de la pièce. L’infirmière entre. Elle me dit que c’est l’heure de mon traitement. Alors, je me souviens que je suis hospitalisée au Pavillon Arc en Ciel et l’angoisse me reprend. Déjà trois semaines que je suis enfermée. De la fenêtre de ma chambre, j’aperçois une partie du parc du Centre Hospitalier. Des jardiniers viennent quotidiennement l’entretenir. Chaque matin, sur le parking, je vois Paul stationner sa voiture à la place réservée à son nom. Il possède une berline noire aux vitres teintées. Le docteur Braun a également sa place de parking. Une jolie Fiat 500 y est garée. Le traitement qu’il m’a prescrit m’assomme littéralement. Je dors une grande partie de la journée. J’ai la bouche sèche, des nausées, des tremblements des membres supérieurs. Quand j’aborde ces désagréments avec l’infirmière, celle-ci me répète avec un faible sourire « C’est pour votre bien, Chloé, mais j’en parlerai au docteur Braun. » Mais ma demande n’est pas entendue. Si je refuse de prendre le traitement, deux blouses blanches viennent me chercher et me conduisent dans une pièce borgne où est positionné un lit doté de sangles de contention. J’hurle, me débats, mais rien n’y fait, je me retrouve attachée avec des patchs collés sur la tête pour subir une séance d’électrochocs.


7 juin

Je me réveille au milieu de la nuit, m'assoie au bord du lit. Peu à peu, les souvenirs me reviennent. Je suis de nouveau dans ma chambre. J’ai du mal à réaliser ce qu’il s’est passé - les effets d’une nouvelle séance d’électrochocs. J’avais pourtant lu que ce traitement était prescrit dans les cas de profonde dépression. Je ne vois donc pas le rapport avec mon mal-être. Pour quelle raison le médecin a-t-il prescrit cet acte franchement inhumain ?... Je comprends à présent l’injustice que peuvent ressentir les patients quand ils relatent des faits similaires sur les réseaux sociaux. Je sens ma colère grandir. Tout est de la faute de ce salaud. Je rumine ma vengeance. Paul ne s’en tirera pas comme ça.


12 juin

J’ai l’autorisation de sortir de ma chambre et de participer à des activités thérapeutiques avec les autres patients du service. Cela me fait du bien d’avoir l’esprit occupé car depuis les séances d’électrochocs, j’ai des maux de tête et des pertes de mémoire. Parfois, j’ai du mal à me souvenir de certains moments de ma vie… Les ordures, je ne leur pardonnerai pas ! Hier matin, j’ai aperçu Paul et le docteur Braun en train de discuter devant le pavillon. De quoi parlent-ils ? Se connaissent-ils professionnellement ? Je ne me souviens pas que le docteur Braun ait jamais appelé Paul dans son service depuis qu’il est en poste… Ils vont vraiment me rendre folle.


8 juillet

Le docteur Braun me reçoit dans son bureau. Je suis tendue, sur la défensive, et n’ai pas envie de lui parler. De toute façon, il ne m’écoute pas. De quoi est-il capable à part m’imposer des traitements inhumains ? Seulement, je comprends que si je veux sortir de ce bâtiment, je dois paraître conciliante, le rassurer, et faire profil bas. Alors je lui mens. Je lui dis que je me sens mieux, que les soins m’ont fait du bien. « Vous avez eu raison de m’hospitaliser, j’étais à bout. » Il a l’air satisfait. Me demande si j’ai encore des idées suicidaires. Non. Non, docteur. Je n’en ai plus. J’ai hâte de revoir ma famille, de reprendre le travail et de vous balancer ce gros cendrier en travers de la gueule.


9 juillet

Mon état psychologique ne nécessite plus d’hospitalisation. Un suivi en ville suffit. Ma sortie est décidée. Ces longues journées entre quatre murs m’ont permis de réfléchir à différents moyens de régler son compte au grand brun. Je ne vois pas d’autre alternative que de me débarrasser de cette ordure. Il est hors de question qu’il s’en tire.


1 août

J’ai repris le travail. Paul est en congés. Il fait beau. Je reprends espoir.


2 Septembre

Paul est revenu depuis dix jours. Les relations professionnelles avec lui sont conflictuelles. Ce dernier a bien compris que j’étais fragile, et il s’en sert pour me perturber par des gestes, des phrases, des attitudes néfastes.


3 octobre

La nuit, je rêve que j’arrache la tête de ce salaud avec un décapsuleur géant. Le jour, je me retiens de lui planter mon stylo dans l’œil. Je ne trouve toujours pas de soutien auprès de mes collègues, ni auprès de Mme Durand. Une fois de plus, je rentre chez moi et me jette sur mon lit, effondrée, en pleurs. Je dois agir. Et vite. Même si cela doit me coûter toute perspective de carrière.


30 octobre

Au volant de ma Twingo, je suis garée devant la résidence de Paul. Je sais qu’il ne rentre qu’après 20 h le mercredi car il est de garde à l’hôpital. Aussi, je me suis stationnée de manière à sortir rapidement de ma place dès qu’il sortira de sa berline. Un coup d’accélérateur. Boum ! Oui, cette fois, c’est toi qui va dégager.


1er Novembre

J’ai attendu toute la nuit qu’il rentre chez lui. Il n’est jamais arrivé. Lorsque je suis arrivée dans le service à 8h30, ce matin, pâle comme un linge, j’ai trouvé les collègues rassemblés dans le secrétariat. Mme Durand est venue à ma rencontre, l’air sombre. Elle m'a fixée comme si elle savait où j’avais passé la nuit, à la manière d’un flic dans une mauvaise série policière. Et puis soudain, elle m’a dit : « Chloé, êtes-vous au courant pour Paul ? » J’ai bredouillé que non. « Je suis désolée de vous annoncer la mauvaise nouvelle… » Le docteur Séverin est décédé au volant de sa voiture. Percuté hier par un autre véhicule sur le boulevard, juste après avoir quitté l’hôpital. Un type qui conduisait en état d’ivresse.

Je me suis effondrée. Ravagée par les larmes. Des larmes de soulagement et de rage.

Paul m’aura tout pris. Jusqu’à ma vengeance.


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